Alice Modolo : « Descendre plus loin que les 100 mètres »



En atteignant 82 mètres de profondeur dans les eaux turques de la Méditerranée, la Française Alice Modolo a signé une belle quatrième place lors des mondiaux d’apnée la semaine dernière. Cette chirurgien-dentiste de Nice, revient pour nous sur cette compétition, sur les spécificités de l’apnée en bipalmes et en monopalme et sur ce qui l’a poussée à explorer les grandes profondeurs.

 

La découverte de l’apnée

« J’ai mis 10 ans à trouver le sport qui me convenait. J’ai fait de la danse, de la natation, du tennis… Mais je n’accrochais à rien de spécifique, mes parents étaient désespérés. Pourtant, je sentais bien qu’il y avait quelque chose à aller chercher dans le sport. C’était dur de voir les autres s’épanouir quand ce n’était pas mon cas. Puis à l’âge de 13 ans, j’ai passé mon premier niveau de plongée bouteille. Etant née à Clermont-Ferrand, c’était ma première expérience avec l’eau. Je me suis dit que j’aimais bien ça. Le médecin du sport m’avait demandé pourquoi je voulais faire de la plongée. Je lui avais répondu de façon un peu naïve que je voulais voir ce qu’il y avait au fond. Ce qui n’était pas courant car généralement, les fonds marins nous font peur. Ensuite, c’est après mes 20 ans que j’ai voulu retourner à cette sensation que j’avais éprouvée dans l’eau. J’ai passé mon deuxième niveau bouteille et dans la ligne d’eau d’à côté, il y avait des apnéistes. J’ai essayé cette discipline et le coup de foudre a été immédiat. Je n’ai plus jamais mis de bouteille dans le dos. Ça a changé ma vie au point de déménager à Nice pour pratiquer au mieux ce sport.

La sensation des grands fonds

C’est rare, mais il arrive que sur certaines plongées, on se sente bien du début à la fin. De ma dernière respiration avant de plonger jusqu’à mon retour à l’air libre, les sensations éprouvées peuvent être parfaites. Sur des plongées comme celles des mondiaux, on est davantage dans la recherche de la performance. C’est de l’adrénaline et de l’énergie à l’état pur que l’on emmagasine au fond de soi pour des mois et des mois. C’est ça qui va nous motiver pour continuer à nous entraîner. Pendant une plongée, si on ne se sent pas bien à un moment, Il ne faut pas trop lutter contre ses sensations. On ne doit pas paniquer. Ce sont des éléments qu’il faut savoir intégrer sans se mentir à soi-même. Il faut avoir cette capacité à faire basculer les choses dans le bon sens en laissant le corps évacuer les pensées noires et les mauvaises sensations. C’est un exercice qui demande une concentration extrême. On ne peut jamais se relâcher.

 

De la philosophie du plaisir à celle de la performance

Jusqu’à maintenant, je voyais plus l’apnée comme une philosophie de vie. Je ne la considérais pas comme une discipline sportive. J’y allais simplement pour trouver des réponses car ça me permettait de savoir qui j’étais vraiment. Quand on plonge, on ne peut pas se mentir, on doit être en accord avec soi-même. La semaine dernière aux mondiaux, j’ai eu le sentiment que j’avais fait le tour de ces questions. J’étais passée par ce cheminement et j’avais besoin de rebondir avec une autre vision. C’est un tournant dans mon approche qui me permet de prendre l’apnée de manière plus sportive. L’année prochaine, j’irai chercher les médailles et les records, même si je suis consciente qu’une apnée ne s’effectue jamais en force avec la seule volonté d’être la meilleure. Ça ne marche pas comme ça, il y a toujours une part importante de mental.

La pression psychologique en monopalme aux mondiaux de Kas

À l’origine, je suis une spécialiste de l’apnée en monopalme (photo ci-dessus à gauche) mais je me suis aussi engagée en bipalmes (photo de droite) sur les championnats du monde. Comme souvent en compétition, c’est la discipline de l’apnée en monopalme qui lance les hostilités et qui est susceptible d’être reportée car nous utilisons le matériel pour la première fois, nous testons les conditions météorologiques… Et justement, à Kas en Turquie, la compétition a été reportée plusieurs jours. J’ai fini par le payer psychologiquement. J’étais parfaitement prête le jour J et finalement, il a fallu attendre trois jours avant de plonger. C’était dur et après une saison chargée pour moi, je n’ai pas réussi à faire face à ces changements de dernière minute.

 

Le rebond inespéré en bipalmes

C’est finalement en bipalmes que je suis parvenue à exprimer tout mon potentiel sur ces championnats du monde. Pour moi, cette discipline m’a longtemps permis de me préparer au monopalme. Avoir une paire de palmes aux pieds, c’est comme un handicap. C’est une discipline plus intense dans laquelle les apnées sont plus longues car aller vers le fond en bipalmes demande plus de force qu’en monopalme. En Turquie, je termine finalement quatrième avec une marque à 82 mètres alors que la médaille d’or est à seulement sept mètres en-dessous. Quand j’ai réussi cette perf’, la championne du monde est venue me voir en me disant que j’avais trouvé ma discipline. J’entrais dans la cour des grands en bipalmes. Avec le recul, ça permet également de confirmer que je suis capable d’aller bien plus profond en monopalme. Réaliser 82 mètres en bipalmes dans un chrono de 3min20, c’est l’équivalent d’une descente à 100 mètres en monopalme.

Les limites à casser pour les prochains records

Je sais que ma limite principale se situe sur la compensation (technique qui permet d’équilibrer les pressions entre l’oreille externe et l’oreille interne quand on plonge en profondeur). Il faut que je trouve des personnes qui soient capables de me l’enseigner parfaitement. C’est une technique précise et très fine que je ne peux pas m’approprier seule. Il faut que j’aie l’aide de quelqu’un sur cet enchaînement de gestes à réaliser en matière de compensation.

 

La barre mythique des 100 mètres

Je ne me suis pas fixée de date butoir, mais d’ici deux ans, je pense que je l’aurai atteinte. Cette année, je n’ai pas pu aller chercher ces données techniques qui mettent du temps à être apprivoisées mais sont essentielles pour plonger jusqu’à ces profondeurs. Après mes performances en Turquie, je m’en sens encore plus capable aujourd’hui. Et si j’arrive à tout mettre correctement en place, est-ce que je ne descendrai pas plus loin que les 100 mètres…

Les spécificités d’une plongée en France

Une apnée en Turquie, en France ou aux Bahamas n’est jamais la même. S’entraîner en France, c’est une force car dans nos eaux, on ne plonge pas toujours dans des conditions idéales. Certains plongeurs qui font ça dans des mers chaudes, sans vagues et sans courant sont toujours surpris quand ils débarquent chez nous. En France, ils sont handicapés car il y a ici des thermoclines, c’est-à-dire des différences de températures importantes dans l’eau. Par exemple, on peut passer en quelques secondes d’une eau à 26 degrés à une autre à 15 degrés. Ces chocs thermiques sont difficiles à gérer pour les apnéistes car ça engendre du stress alors qu’on recherche en permanence à être relâché. Ça peut bloquer la tête et complètement casser une plongée.

 

La gestion d’une carrière double

Ce n’est pas évident de concilier ma vie professionnelle de chirurgien-dentiste et celle de sportive de haut niveau, en particulier depuis cette année. Tant que j’abordais l’apnée comme une passion et un cheminement de vie, j’arrivais à m’organiser pour gérer ces deux facettes. Aujourd’hui, j’ai plus d’ambitions sportives et j’espère décrocher un record du monde. Il va falloir que je prenne des dispositions pour aller au bout de ce rêve. Mon entraînement me prend beaucoup de temps. Je plonge deux à trois fois par semaine. À chaque fois sur une demi-journée. Je nage, je fais du yoga, du crossfit, des exercices de cage thoracique, de l’assouplissement. Cette année, je me suis réinvestie pleinement dans l’apnée et je veux continuer dans cette voie. L’objectif est désormais d’organiser ma vie professionnelle en fonction de l’apnée.

L’entourage sportif

J’ai une équipe composée d’un préparateur physique pour le foncier avant la saison, d’un prof de yoga, d’un préparateur au niveau de l’apnée et d’un préparateur mental qui est fondamental dans l’approche de ma discipline.

 

Le clip de Beyoncé

J’avais déjà fait une pub pour Kusmi Tea et j’avais aussi tourné pour Sky Bet dans une approche plus artistique. Ce sont des projets extraordinaires pour promouvoir mon sport au-delà des initiés car ça véhicule de belles valeurs. Ça me permet aussi de me fondre dans un rôle, ce qui est plaisant, et de découvrir des mondes différents. Pour le clip de Beyoncé « Runnin » (voir ci-dessous) que j’ai fait avec l’apnéiste Guillaume Néry, c’était plus compliqué car le tournage avec lieu en milieu naturel en Polynésie. On pourrait croire que c’est plus facile que de descendre en profondeur, mais ce n’est pas le cas. Ça représentait un véritable challenge comme quand je donne l’impression de marcher à la surface de l’eau alors que je suis immergée. Sur un tournage, le réalisateur sait précisément l’image qu’il souhaite avoir. On peut avoir tendance à ne plus penser qu’à ce qu’il veut, mais la chose la plus importante, c’est soi-même. Il faut toujours garder à l’esprit qu’en ne respirant plus, on se prive d’une fonction vitale. Si on se laisse emporter par l’exigence du tournage, on n’arrive pas à donner l’image qu’ils souhaitent avoir. Dès l’instant où j’ai réussi à me refocaliser sur moi-même, j’ai pris énormément de plaisir et le résultat était là. »

 

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