« J’ai marché 140 km sur un désert de sel malgré mon handicap »



Malvoyant, Alban Tessier est pourtant parvenu à traverser le Salar d’Uyuni en Amérique du Sud. Le Français nous raconte cette aventure bolivienne de 140 km à pied.

Le 17 juillet 2018, Alban Tessier a posé le pied sur le Salar d’Uyuni, plus grande étendue de sel du monde. C’est là-bas à 3 658 m d’altitude, que le Français a réalisé une traversée de 140 km à pied dans ce paysage désertique d’un blanc éclatant. Le Nantais de 42 ans est enseignant à
l’Institut Les Hauts-Thébaudières. Atteint de rétinite pigmentaire, une maladie évolutive de la vision, il nous raconte ce périple. « Pas une aventure personnelle, mais la volonté de prouver que l’on est capable d’aller loin malgré un handicap comme le mien » explique-t-il.

Comment as-tu perdu la vue ?

Je suis atteint d’une maladie évolutive de la vision. À partir de mes 16 ans, j’ai perdu la moitié de la vue. Au moment de cette traversée du Salar d’Uyuni, j’avais entre 1/20 et 1/50ème de vision. J’ai surtout un champ visuel très réduit, inférieur à 5 degrés de vision centrale. C’est une vision tubulaire. Au-delà de ça, je suis très photophobe (une intolérance à la lumière) et ma vision baisse quand il y a peu de lumière.

Ce que vous voyez à gauche. Ce qu’Alban voit à droite

Comment est née cette idée de traverser le Salar d’Uyuni ?

Je fais partie de l’association « À perte de vue » qui a été fondée par un ancien collègue et ami. Elle cherche à sensibiliser aux handicaps visuels à travers des projets médiatisés comme celui d’être copilote sur le Dakar ou une traversée du désert tunisien en autonomie complète. C’est ce dernier projet que mon ami devait réaliser. Mais il est décédé d’un cancer avant de pouvoir le faire. Je m’étais impliqué dans ces deux aventures. Et c’est suite à une blessure à la cuisse qui m’a contraint à stopper ma pratique assidue du vélo que j’ai repensé à cette traversée du désert tunisien. Une amie bolivienne m’a parlé du Salar d’Uyuni et l’idée m’est restée en tête.

La préparation en amont a-t-elle été longue ?

Ça a été un travail de longue haleine. On a mis trois ans pour préparer le projet. J’ai dû me mettre à la marche et il a fallu étudier de près le désert, se documenter. J’ai travaillé avec l’agence météo bolivienne et une autre agence pour gérer la logistique sur place. Il a fallu aussi passer au-dessus de certaines croyances par rapport à ce désert, un peu mystiques pour les Boliviens. Puis s’occuper du matériel avec des retours d’expériences du peu de personnes qui l’avaient fait avant moi.

Au niveau budget, j’en avais pour 25 000 euros. On a mobilisé des partenaires techniques puis des partenaires financiers. Au mois de juillet l’année dernière, on était prêt. J’y suis allé avec un médecin français qui m’a accompagné car on ne partait pas non plus dans une opération suicide. Et sur place, l’agence colombienne a monté une équipe capable de m’aider dans un délai de 1h à 1h30. Soit trois à cinq personnes qui étaient dans un véhicule à distance de moi. Ils se sont parfois rapprochés pour faire des images. Mais la première nuit, ils étaient par exemple à 150 km de moi.

Combien de jours avais-tu prévus pour faire la traversée ?

J’avais coupé le parcours en sept étapes de 20 km chacune, sachant que j’avais 55 kg de matériel à transporter. On s’était basé sur des distances précises car l’outil de guidage GPS que j’avais nécessitait de respecter des points de sécurité que l’on avait repérés en amont du projet. Il y a un certain nombre de dangers sur le salar. Le principal est la circulation des touristes en voitures qui viennent sur le désert. Il y a des véhicules qui passent à grande vitesse sur la zone. Et l’autre danger concernait ces trous plus ou moins profonds et masqués, avec des arêtes bien tranchantes qui peuvent faire mal. Donc il fallait que je respecte les points pour poser ma tente en toute sécurité.

Quels sont les plus beaux souvenirs que tu gardes de cette traversée ?

La veille du lancement de l’opération, on a fait une reconnaissance du parcours. Le premier pas sur le désert était l’aboutissement de trois ans de travail. C’était déjà un superbe sentiment de liberté. Pour moi au quotidien, c’est la ville qui représente un lieu hostile. Là, j’étais dans un lieu totalement ouvert, sans obstacle. Le premier réflexe que j’ai eu, ça a été de replier ma canne. Puis pendant mes longues heures de marche, j’ai profité de ces moments propices à l’introspection.

Comment organisais-tu tes journées pendant la traversée ?

Je me levais vers 6h du matin pour un départ à 8h, le temps de manger et de démonter mon bivouac. Je marchais jusqu’à 16h environ avec une à deux pauses de 30 minutes dans la journée. Et j’évitais de marcher la nuit pour limiter certains dangers.

Y’a-t-il eu des moments difficiles pendant la traversée ?

On a beau s’entraîner en amont, c’est impossible d’avoir les mêmes conditions que celles trouvées sur place. Le poids des sacs, le matériel électronique que je devais gérer, les batteries qui se vidaient plus vite que prévu… L’aspect équipement m’a un peu pris la tête les premiers jours. Le respect des distances que je m’étais fixées au départ n’a pas été facile non plus. Je n’ai fait que 12 km par exemple le troisième jour. Evidemment, ce sont des kilomètres que j’ai dû rattraper ensuite. Ce que j’ai fait en marchant 30 km certains jours.

L’autre problème, c’était les tempêtes sur le désert avec des vents violents et de la neige. Une nuit, un ancrage de la tente s’est arraché vers minuit. Ça a été un grand moment de solitude. D’autant que mon équipe était assez loin de moi à ce moment-là. Il a fallu gérer… Un autre jour, vers 5h du matin, ma tente s’est écrasée sur moi à cause d’une tempête de neige. Bref, j’ai dû encaisser trois tempêtes en sept jours de traversée. Pour ne pas me mettre en danger, l’équipe a décidé de me rapatrier deux fois pendant la traversée. Le lendemain matin, ils m’ont remis là où ils m’avaient pris la veille avec un point GPS.

Enfin, j’ai aussi eu des blessures avec le sel. Là-bas, on saigne facilement du nez, on a la gorge irritée par le sel. Sur les trois premiers jours, j’ai vraiment ressenti mon corps en souffrance. C’est à partir du quatrième que j’ai repris espoir et que je me suis dit que je pourrais aller au bout. Ce qui s’est confirmé sur les jours suivants où j’ai pu rattraper le retard perdu les premiers jours.

Tu as rencontré des gens sur place ?

Sur les cinq premiers jours, je n’ai croisé personne. Sur les deux derniers, j’ai croisé deux 4×4 qui se sont arrêtés à ma hauteur. C’était des Français qui avaient entendu parler de moi sur les télévisions boliviennes. On a parlé deux minutes et ils sont repartis.

Quels sont tes futurs projets ?

J’espère participer au Marathon des sables. C’est une idée que j’ai en tête et qui pourrait se concrétiser sur la prochaine édition.

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