Everest : une mortalité qui interroge



Un grimpeur moldave, Victor Brinza, est mort ce mercredi sur l’Everest, soit déjà le sixième décès en 2023. De quoi s’interroger : comment évolue la mortalité de l’Everest ? L’augmentation du nombre de grimpeurs accentue-t-elle le risque ? Éléments de réponse dans cet article, avec l’alpiniste Charles Dubouloz

Le nombre de personnes qui sont autorisées à tenter l’ascension de l’Everest augmente chaque année depuis des décennies. Pour cette saison 2023, ce sont au moins 466 permis qui ont été délivrés, soit 50 de plus qu’en 2021, l’ancienne année record. En comptant les sherpas, ce sont environ 900 personnes qui tenteront l’ascension cette année. 

L’augmentation du nombre de permis délivrés est en grande partie due à l’argent. Pour le Népal, qui délivre la majorité des permis d’ascension et classé parmi les pays les plus pauvres au monde, la manne financière que représente l’alpinisme dans le pays est énorme. Chaque permis seul coûte 10 000 euros environ, ce à quoi il faut ajouter entre 30 et 40000 euros plus pour organiser un voyage complet. Les touristes et alpinistes font tourner en très grande partie l’économie locale. On comprend alors que le gouvernement soit réticent à une plus forte régulation. De l’autre côté du versant, la Chine a restreint à quelques centaines la quantité de permis délivrés depuis plusieurs années

Une mortalité constante

Le nombre de grimpeurs sur l’Everest augmente, le nombre de morts sur ses pentes également. Entre 2004 et 2012, 54 décès ont été comptabilisés alors que sur le même laps de temps, entre 2013 et 2021, ce sont 69 grimpeurs qui ont laissé la vie sur l’Everest. Mais ce qui est important de noter, c’est que le ratio entre le nombre de tentatives et les décès reste stable, à 1 mort pour 100 tentatives.

La mortalité sur les pentes de l’Everest reste donc constante par rapport à 40 ou 50 ans en arrière. Mais avec du matériel de meilleure qualité, des échelles et des cordes fixes sur une grande partie de l’itinéraire, des prévisions météorologiques plus précises et une utilisation optimale de l’oxygène, l’ascension de l’Everest est bien plus simple qu’auparavant. “Aujourd’hui, il ne faut pas un niveau technique incroyable pour monter au sommet”, témoigne l’alpiniste Charles Dubouloz. “Les voies normales des sommets mythiques ont été aseptisées pour permettre à un plus grand nombre d’y arriver. Ça reste un gros défi mais bien plus simple qu’avant, c’est sûr.” Pour preuve, le taux de succès a augmenté énormément pour atteindre aujourd’hui près de 70%. On se demande alors pourquoi le ratio de mortalité, lui, ne diminue pas. 

De plus en plus de grimpeurs débutants

La raison première est que les permis sont délivrés de plus en plus facilement, notamment à des grimpeurs inexpérimentés. Une fois les permis délivrés aux compagnies d’ascension, le gouvernement n’a plus de regard sur l’identité des grimpeurs. Cela donne lieu à des scènes étonnantes, comme le raconte l’alpiniste français Charles Dubouloz. “Cet automne, j’ai grimpé le Manaslu (ndlr : sommet himalayen de 8163 mètres). Lors de nos acclimatations sur les camps de base, on a croisé des gens qui ne savaient pas mettre de crampons et qui n’en avaient jamais mis” raconte-t-il, sidéré. “C’est comme si tu n’as jamais mis les pieds sur un voilier et que tu veux faire le Vendée Globe ou le Route du Rhum. C’est dingue”. Ces grimpeurs novices, “marcheurs d’altitude” comme préfère les appeler Dubouloz, ralentissent les expéditions et peuvent créer des embouteillages, notamment sur les camps de base. En 2019, plusieurs décès ont été enregistrés avec ces embouteillages pour cause principale. Une partie des décès a également lieu dans la descente, moment parfois négligé par ceux qui veulent à tout prix atteindre le sommet, sans penser à l’après.

Ensuite, de plus en plus de personnes érodent la montagne en laissant leur déchets ou simplement en fragilisant les routes, le tout dans un contexte de réchauffement climatique qui fait fondre certaines zones de neige ou de glace. Plus il y a de personnes qui tentent l’ascension, plus cet impact se fait ressentir. Cela rend l’ascension plus dangereuse et augmente le risque de crevasses, de glissements de terrains et d’avalanches. En 2015, 18 personnes avaient été emportées par une avalanche mortelle qui s’est abattue sur le camp de base.

Comment diminuer alors la mortalité ? “Faut-il seulement réduire les risques ?” s’interroge Charles Dubouloz. “Je ne pense pas qu’il faille aseptiser la montagne pour l’ouvrir à plus de gens. Je pense que les gens devraient plutôt aller s’entraîner sur des sommets plus atteignables ou justifier d’une certaine expérience avant de tenter des grandes ascensions. Et cette régulation doit venir des compagnies d’expéditions selon moi.” 

Mais face au pouvoir de l’argent, la sécurité et l’environnement ne pèsent pas lourd. C’est donc tout un questionnement autour de l’alpinisme et de la dose de risque qu’il comprend qui est en cours. Certains spécialistes, comme Charles, délaissent alors les voies normales de plus en plus aseptisées et fréquentées pour retrouver l’aventure et le risque, l’essence même de l’alpinisme.  

Regardez en replay ci-dessous le dernier épisode d’Actu Ride (émission produite par Puzzle Media).