Vincent Girard | 24 février 2025 L’exploit de Benjamin Védrines en solo et en hiver dans les Drus Alpinisme L’alpiniste français a réussi une première hivernale aux Drus, en passant cinq jours seul sur la voie “Base”. Un itinéraire particulièrement technique, surtout à cette période de l’année. « Il y a eu du stress, de la peur, des moments de doute… mais aussi des instants incroyables, des lumières magnifiques, une immersion totale. J’ai vécu en cinq jours une densité d’émotions que je ne pensais pas possible. » C’est ainsi que Benjamin Védrines raconte cette première en solo et en hiver sur la voie Base aux Drus. Personne n’était encore parvenu à réaliser cette ascension seul à cette période de l’année. Ouverte en 2021 par le groupe militaire de haute montagne (GMHM) composé de Thomas Auvaro, Léo Billon, Jordi Nigere et Sébastien Ratel, cette voie avait nécessité aux groupes quatre jours de bivouac pour atteindre la Vierge Notre-Dame-des-Drus. De son côté, Benjamin Védrines a passé cinq jours en solo sur cette même face, accompagné uniquement et de loin par le drone de Mathis Dumas, en tournage pour Montagnes en scène. Le Français a dormi sur des vires de 60 cm de large, composé avec les aléas de la météo (chute de neige en pleine paroi) et s’est surpassé sur certains secteurs de l’ascension qui l’obsédaient depuis plus d’un an. default « Les Drus, c’est un sommet emblématique, chargé d’histoire. Des ascensions comme celle de Bonatti ou Catherine Destivelle résonnent encore aujourd’hui. J’y ai déjà grimpé plusieurs voies, mais la voie BASE a une signification particulière pour moi. C’est une ouverture récente réalisée par des amis, et notamment Léo Billon, un grimpeur que j’admire énormément (avec qui il a réalisé notamment l’historique trilogie Drus, Droites, Jorasses, l’année dernière) qui m’a dit que c’est une des lignes la plus incroyable qu’il a parcouru notamment pour la raideur de la face. C’est un itinéraire exceptionnel où beaucoup de longueurs se grimpent avec les piolets et les chaussons aux pieds. En gros, c’est beaucoup de techniques de dry tooling à mettre en place. C’est un style d’escalade exigeant qui m’intéresse énormément. » default L’aspect solitaire était évidemment également au centre de ce projet. « Être seul dans une face, je sais que c’est quelque chose d’assez extraordinaire, d’assez expérimental. Je le vois comme un voyage un peu initiatique, une recherche de questions existentielles. Aujourd’hui, j’en ai besoin, oui j’en ai besoin. C’est quelque chose qui m’a toujours habité, qui a toujours été en moi. Et là je veux le réaliser. Partir seul, c’est prendre sur soi toute la charge mentale, la prise de décision, le risque. C’est une vraie épreuve. C’est être seul face à la montagne, c’est une immersion totale. Quand on est deux, il y a toujours une forme de distraction. Là, c’est un retour à l’essentiel : l’écoute, la vibration, la concentration. C’est une connexion intime avec la face. Être seul dans une face, je sais que c’est quelque chose d’assez extraordinaire, d’assez expérimental. Je le vois comme un voyage un peu initiatique, une recherche de questions existentielles. Aujourd’hui, j’en ai besoin, oui j’en ai besoin. C’est quelque chose qui m’a toujours habité, qui a toujours été en moi. Et là je veux le réaliser ». « Pour moi, c’est une grande étape. Je ne ressens pas forcément avoir fait « le truc le plus dur » parce que je m’étais bien préparé et que j’ai su m’adapter aux situations. Mais ce qui est certain, c’est que je n’avais pas vécu une intensité pareille depuis très longtemps. C’était comme une première fois. Cette expérience où il faut s’adapter en permanence, garder patience et courage, est une aventure qui m’a rendu humble. » Voir cette publication sur Instagram Une publication partagée par Benjamin Védrines (@benjaminvedrines) L’ASCENSION EN RÉSUMÉ Dimanche 16 février : Approche dans la neige fraîche pour bivouaquer aux pieds des Drus avec une première longueur en M5+ (pour fixer la corde et hisser le sac). JOUR 1, lundi 17 février : Lever à 5h45, remontée du couloir puis début de l’ascension du socle M5 et 3 sup avec quelques « galères » pour le hissage du sac avant de mettre au point un système de balancier. Enchaînement du M6+ et M7. À ce stade, Benjamin décide de continuer (alors qu’il avait envisagé de s’arrêter à ce niveau pour la première journée) car il n’a pas d’endroit pour bivouaquer. Les conditions sont bonnes, il fait même chaud à la mi-journée. Il enchaîne alors en libre un autre M7, puis, après avoir chaussé ses chaussons, un M8+ et un M8 (qui s’avérera le plus délicat !), avant de trouver une vire minuscule où il est obligé de terrasser longuement une plateforme dans la neige dure pour pouvoir s’allonger et dormir. JOUR 2, mardi 18 février : Benjamin fait la « grasse mat » en équilibre sur sa minuscule vire pour récupérer un peu de sa double journée, sachant que sans portaledge il ne peut bivouaquer que sur la terrasse du relai du M5+, soit deux longueurs au-dessus. Il grimpe le M7+ (qui lui donne du fil à retordre avec un bloc branlant menaçant de partir lorsqu’il y a inséré la lame de son piolet). Il choisit donc de s’aider du Friend qu’il avait posé en sécurité, puis enchaîne le M5+. À ce niveau, il organise le bivouac du soir en attendant que le soleil réchauffe la paroi pour attaquer le 6c puis le M8 (en chaussons et piolet). Il redescend ensuite ces deux longueurs pour rejoindre le bivouac.JOUR 3, mercredi 19 février : C’est la journée la plus exposée et la plus « challengeante » pour Benjamin, avec notamment une longueur en 7a qu’il faut négocier sur un rocher putride. Réveil à 6h (après une « grosse nuit » de 8h) pour un départ à 8h30, avec pas mal de manipulations de corde au programme pour démarrer. Le temps est plus doux et il y a moins de rafales de vent. Les deux M5+ s’avèrent terribles, et le 7a, enchaîné à pas de chat en mi-libre, mi-artif, lui vaut quelques frayeurs avec plusieurs pans de rocher menaçant de décrocher lors de l’ascension. Derrière, les 6c et 6b se révèlent magnifiques. Benjamin, sur sa lancée est soulagé d’avoir passé ces difficultés, fixe encore la longueur suivante puis redescend afin de profiter de son bivouac quatre étoiles sur une large terrasse. JOUR 4, jeudi 20 février : Benjamin se réveille couvert de neige, dans le brouillard, avec les flocons pour compagnons, ce qui n’était pas vraiment prévu au programme… La météo annonce cependant une amélioration dans la matinée avec un retour du soleil à 10h30. La neige a collé au niveau des dalles et il y a des longueurs techniques à venir, dont un 6c, de quoi être vraiment inquiet mais Benjamin décide d’être positif, il n’a pas vraiment le choix si près du but. Le soleil réapparaît et fait progressivement fondre la neige, ça dégouline, le grimpeur ne peut mettre ses chaussons, choisissant dès lors de passer en dry tooling. Contre toute attente, il se régale et qualifie les longueurs de collector, notamment pour leur côté aérien. Il est sur le point d’atteindre le sommet au coucher du soleil mais décide de ne pas se presser et s’arrête. Non seulement pour ne pas faire de bêtise, mais surtout pour profiter d’un dernier bivouac (confortable, celui-ci) et se réveiller à quelques mètres du sommet. Et enfin (un comble pour lui, l’ultra rapide!) pour prendre le temps de finir tranquillement ce formidable voyage qu’il a tant préparé et dont il a tant rêvé ! « Demain, j’espère un beau lever de soleil pour mon dernier bivouac. Ce sera l’occasion de réaliser tout le chemin parcouru pour arriver là-haut, sous cette statue de la Vierge. Un moment symbolique. »JOUR 5 : vendredi 21 février : « Ça valait le coup de rester dormir ! La contemplation et l’immersion dans l’environnement font autant partie du projet que la performance physique et/ou technique. Ce matin, je m’en suis encore plus rendu compte ! ». Après ce réveil grandiose, Benjamin enchaine les trois longueurs « faciles » qu’il lui restait pour arriver au sommet, qu’il atteint à 9h30. Après une accolade à la vierge, il commence ensuite sa descente en rappel dans le couloir Nord des Drus motivé, cette fois, par l’espoir d’une bonne douche, d’une pizza et d’un bon lit. Après avoir retrouvé ses skis au pied des Drus, il remonte le couloir des Poubelles jusqu’au Grands montets avant de finir son aventure en dévalant les pistes. Regardez en replay ci-dessous le dernier épisode d’Actu Ride (émission produite par Puzzle Media).