Nathalie Lasselin : « J’aime plonger dans l’inconnu, aller là où il n’y a pas d’image sur Google »



Marraine du Salon de la plongée sous-marine qui se tient du 11 au 14 janvier à Paris, Nathalie Lasselin, pionnière des abysses, nous entraîne dans un voyage extraordinaire au cœur de sa vie dédiée à l’exploration des eaux profondes. Un parcours captivant dévoué à la révélation des merveilles méconnues de notre planète bleue.

Quel a été votre parcours professionnel ? 

Après être partie à Montréal pour étudier le cinéma, j’ai commencé à travailler à l’office national du film du Canada. Ça a vraiment été le début de ma profession en documentaire en cinéma. La plongée est ensuite arrivée, et quand j’ai commencé à mettre la tête sous l’eau, en l’espace de quelques semaines, puis de quelques mois je suis devenue une plongeuse technique.

Dès que j’ai été à l’aise dans l’eau, je me suis dit “maintenant, je dois prendre la caméra”. J’ai donc commencé à faire des documentaires. C’est une activité mal comprise mais une fois lancé, un sujet en amène un autre, qui amène une nouvelle expédition puis une exploration… Et me voilà 20 ans après : Je continue de monter des projets dans des régions qui sont moins connues, moins populaires, je rapporte des images d’endroits dont très souvent on n’a pas la connaissance, voir pas du tout de visuel.

J’aime plonger dans l’inconnu, aller là où il n’y a pas d’image sur Google. C’est un point d’interrogation auquel j’ai envie de répondre. Il y a des lieux qui peuvent être mystérieux et qui nous amène à nous poser des questions. C’est ça qui m’intéresse vraiment dans l’exploration sous-marine. C’est aller là où je ne sais pas à quoi m’attendre parce que personne n’est allé voir ou n’a documenté.

Quel est le lieu qui vous a particulièrement marquée ?  

Je pense à l’Arctique, là où je retourne chaque année. L’Arctique Canadien est la raison pour laquelle les expéditions me marquent : quand j’y vais, on campe sur la banquise, on plonge sur la banquise et c’est le genre de lieu qui est complètement éphémère. Comme il s’est formé pendant l’hiver, quelques semaines après notre passage, il va complètement disparaître. On ne peut jamais présupposer combien d’icebergs il va y avoir sur la banquise ni quels genre d’icebergs ça va être. C’est ce côté très magique et très éphémère que j’aime beaucoup parce que il n’y a pas nécessairement de cycle. En même temps c’est ça qui est fort. C’est de se rendre compte à quel point la nature est géante. 

Quels ont été les obstacles que vous avez eu dans votre carrière ? 

Des défis, il y en a tous les jours ou presque et ils sont à toutes sortes de niveau. Mais en fin de compte, ce sera la nature qui va nous dire si ça passe où si ça casse. Si les conditions ne sont pas bonnes, il faudra être patient. Parfois on ne peut pas toujours attendre le bon moment. En Arctique, notamment, des tempêtes ont arraché nos tentes. On vit plein de situations comme ça. 

Je pense que lors des explorations aussi, au-delà de ramener des belles images, on doit raconter des histoires et sensibiliser par rapport à notre relation à la nature plutôt que de l’user jusqu’au bout des ressources. Durant ma traversée du fleuve Saint-Laurent, je me suis dis: “voilà comment ça peut être de se prendre pour une goutte d’eau.” De dériver, d’essayer de naviguer, de trouver les bons passages parce qu’il fallait que je passe dans des rapides. En kayak c’est bien mais en plongée c’est une autre histoire.

Il fallait que je passe en dessous des ponts, au-dessus de deux tunnels… Il faut accepter de suivre le chemin de l’eau. En procédant ainsi, j’ai eu une grosse surprise à cause du changement climatique. Les plantes aquatiques ont beaucoup poussé ce qui m’a obligé à changer de trajectoire à plusieurs moments. On se rend compte à ce moment-là qu’il faut être vigilant quand on est confronté ainsi à la nature. On doit être capable de trouver des plans B, des plans C… Il faut mener à bien le projet même si ce n’est pas celui qu’on avait écrit sur le papier au départ. 

Epave

Les expériences que vous avez eu ont-elles eu un impact sur vous ?

J’ai toujours été aventurière dans ma tête, même quand j’étais enfant. Mais je ne pensais pas avoir un jour la vie d’une aventurière. Quand j’ai commencé dans la vie active professionnelle : j’ai pensé à travailler dans le cinéma. Je n’imaginerait pas que ça changerait ma vie à ce point-là. C’est ça qui me nourrit, c’est ça qui donne un sens. Je ne pourrais par exemple jamais être salariée, c’est impossible, même si parfois ça doit être très confortable. Je pense qu’effectivement ça change complètement la raison de vivre.

Comment contribuez-vous à cette préservation ? 

Je pense que l’on est le regard et les yeux de tous les gens qui ne pourront jamais aller sous l’eau. J’entends que nous sommes extrêmement privilégiés de pouvoir aller sous l’eau. Parfois on dit qu’il y a beaucoup trop de plongeurs, mais plonger et pouvoir documenter pour partager nos observations c’est différent et c’est notre rôle. C’est vraiment beau de faire rêver, de faire découvrir.

C’est extrêmement riche et fragile et en même temps, on a tous la possibilité de jouer un rôle de protection. C’est pour ça qu’au-delà de mes explorations et de mes expéditions, on fait aussi des nettoyage sous-marins, notamment à Montréal. C’est extrêmement important de me dire que j’ai le privilège de faire ça mais que je me suis aussi donnée la chance de vivre la vie que j’ai. De voir ces choses là, de pouvoir en parler, de pouvoir les partager et de pouvoir inspirer les autres à faire également quelque chose pour sauver la planète.  

Quels sont vos objectifs futurs en tant que cinéaste ? 

J’ai différents projets dans des endroits qui n’ont pas été documentés. C’est de la plongée profonde assez engagée, il faut ramener des images. Je travaille beaucoup en “collaboration” avec des universitaires, des chercheurs..  Même si je m’y connais en sciences, je n’ai pas de diplôme scientifique (ni en biologie ni autre chose).

Pour moi, c’est extrêmement important de pouvoir travailler à différents niveaux, de mettre à contribution ma vie d’exploration et mon engagement pour la plongée sous-marine avec des recherches scientifiques. C’est aussi un questionnement sur la façon dont les anciens et les autochtones vivent et vivaient dans cet environnement là. Que peut-on apprendre de ça ? Parfois on a tendance à se dire que les nouveaux trucs sont biens : les nouvelles technologies…  Mais à travers tout ça, on perd beaucoup de choses qui fonctionnaient très bien avant et on se demande pourquoi on ne pourrait pas les réintégrer : même dans certains modes de vie comme l’environnement et la nature. 

Un exemple ? 

Je plonge dans le réservoir Manicouagan : dans le quatrième plus gros cratère d’impact au monde : c’est un territoire autochtone et les Montagnais, qu’on appelle Inuits aujourd’hui, allaient, chaque hiver y vivre pendant huit mois pour aller chasser, pêcher, prendre des racines de certains arbres, se nourrir de cette forêt. Ce qui est drôle c’est qu’à l’heure actuelle on voit qu’il y a toute une mouvance de personnes qui veulent se rapprocher de la nature, mais se rapprocher très souvent avec des technologies. C’est-à-dire sans bien arriver à lire la nature : Quel est le nom des arbres, des animaux ? Comment ça fonctionne ? quand va-t-on les rencontrer ? Avec les autochtones on peut apprendre énormément de cette relation, de cette connaissance de la nature et c’est ça qui est très intéressant.

Ça nous apporte une façon de mieux vivre dans cet environnement, qui est devenue quand même assez étranger puisque la plupart des gens habitent en ville. Je pense que tous les explorateurs qui partent pour des longues missions, à un moment donné, vont trouver en eux les forces pour être en mesure de se dépasser dans les moments qui vont être difficiles. Il faut la trouver à l’intérieur de soi, et si on est toujours dans le bruit, dans la vie trépidante, on n’arrive pas à se reconnecter pour aller retrouver ça. Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui essaient de retrouver cette connexion.

Que ce soit les bergers pendant la transhumance, ou les autochtones, ce sont des gens qui sont extrêmement inspirants parce qu’ils ont cette capacité de survivre et surtout de vivre avec pas grand chose. Et d’être bien dans cet environnement, ça peut être un gros défi pour qui que ce soit.

Interview réalisée par Victoria Kharlamoff et Zoé Bailly

Regardez en replay ci-dessous les exploits de l’année 2023 (émission produite par Puzzle Media).